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Image  Mickael d’Allende, avocat associé, cabinet Altana

« Starification » de l’accord d’entreprise : l’arbre qui cache la forêt normative ?

Social - Fonction rh et grh, IRP et relations collectives, Contrat de travail et relations individuelles
18/07/2017
Alors que l'on assiste à une « starification » de l’accord d’entreprise, l’employeur n’est pas dépourvu de pouvoir normatif étendu, rappelle Mickael d’Allende, avocat associé au cabinet Altana.
 
Les conventions et accords collectifs nés du dialogue social constituent un cadre fondamental d’adaptation du cadre légal au plus près des réalités du terrain. Quelque part entre la loi et le contrat, le partage intellectuel du travail et du capital y trouve sa transcription la plus équilibrée.
 
Depuis les réformes intervenues au début des années 1980, le législateur français renforce régulièrement le rôle qui leur est confié dans la construction du droit social, à tel point que cette matière devient de plus en plus un « droit négocié » s’éloignant progressivement du dirigisme étatique.
 
Dernier exemple en date, la loi « travail » du 8 août 2016 a entendu favoriser une culture du dialogue et de la négociation en : 1) faisant de l’accord d’entreprise la pierre angulaire du droit du travail français ; 2) renforçant la nécessité de parvenir à un accord majoritaire.
 
La réforme par voie d’ordonnances annoncée pour le début de l’automne 2017 entend donner davantage encore de liberté à la négociation collective d’entreprise.
 
Du fait de cette « starification » des accords collectifs, on aurait presque tendance à oublier que l’employeur dispose d’un pouvoir normatif étendu.
 
Si, sur un certain nombre de sujets, le législateur impose que l’entreprise soit couverte par un accord collectif (la mise en place de forfaits jours, pour ne donner qu’un exemple bien connu), la direction conserve la possibilité d’instituer unilatéralement un certain nombre de supports susceptibles de contribuer largement à organiser les relations de travail dans l’entreprise.
 
Il en va ainsi des directives qu’elle donne aux salariés, du règlement intérieur et des notes de service. Il en va de même des usages et des engagements unilatéraux, qui font partie des sources de droit les moins formalistes du droit du travail, ne faisant l’objet - l’exception est tout à fait remarquable - d’aucun encadrement législatif.
 
 
Un exemple, parmi d’autres : la souplesse offerte par les usages et engagements unilatéraux
 
Si leur place dans la pyramide des normes est modeste (ils sont sans difficulté supplantés par la loi, les accords collectifs, le contrat de travail…), leur régime juridique - bien différent des autres sources - en fait des outils d’expression du pouvoir normatif de l’employeur d’une grande utilité.
 
L’usage peut se définir comme une pratique professionnelle interne à l’entreprise par laquelle un avantage est habituellement accordé aux salariés ou à une catégorie d’entre eux. Pour avoir une valeur juridique, la pratique doit être fixe, constante et générale. Ces trois conditions doivent être cumulativement réunies. Il peut prendre la forme de primes (treizième mois, par exemple), de jours de congés supplémentaires, de temps de repos accordés selon une certaine périodicité, de l’application volontaire d’une convention collective, etc.
 
L’engagement unilatéral est, pour sa part, une manifestation expresse du pouvoir de l’employeur. Son contenu est, comme celui des usages, très varié. Son contenant l’est tout autant : les engagements unilatéraux peuvent figurer dans les procès-verbaux des réunions des délégués du personnel, dans le règlement intérieur, dans des notes de service, etc.
 
L’existence et la suppression de ces normes dépendent du pouvoir unilatéral de l’employeur. Ce dernier peut y mettre fin librement, sans motiver sa décision, à condition de respecter la procédure suivante, commune tant aux usages qu’aux engagements unilatéraux à durée indéterminée :
  • informer les institutions représentatives du personnel ;
  • informer de manière individuelle chaque salarié concerné ou, s’agissant d’un usage ou d’un engagement unilatéral prévoyant l’attribution d’un avantage soumis à une condition d’ancienneté, chaque salarié susceptible d’en bénéficier un jour ;
  • respecter un délai de prévenance suffisant pour permettre d’éventuelles négociations.
 
Attention à bien respecter cette procédure (au demeurant fort simple) : à défaut, la dénonciation est inopposable aux bénéficiaires. L’employeur risque de devoir la recommencer s’il persiste dans son souhait de remettre en cause l’usage ou l’engagement unilatéral.
 
À l’issue de la période de préavis, l’avantage disparaît totalement. La question de la survivance d’un niveau de rémunération (et avant la loi « travail », d’avantages individuels acquis), propre aux accords collectifs, n’a pas court ici, ce qui constitue une différence fondamentale entre ces différents supports.
 
C’est dans la simplicité et la souplesse du régime juridique applicable aux usages et engagements unilatéraux que réside leur attrait.
 
Si l’importance grandissante du dialogue social à un niveau décentralisé doit être saluée (notamment en ce qu’elle aidera peut-être le législateur à surmonter sa tendance à vouloir réformer le Code du travail chaque année…), les directions doivent conserver à l’esprit que bien d’autres outils existent pour les aider à instaurer, dans l’entreprise, un cadre juridique susceptible de leur permettre de déployer efficacement leur stratégie.
 
 
Par Mickael d’Allende, avocat associé, Altana
 
 
 
Source : Actualités du droit