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Société interposée : pas d’obstacle au rapport de la donation consentie

Civil - Personnes et famille/patrimoine
07/02/2018
Les Hauts magistrats jugent que dans l’hypothèse où une donation est faite par le de cujus à son héritier par l’interposition d’une société, le rapport est dû « à proportion du capital qu’il détient ». 
Un de cujus laisse à sa succession son épouse et ses deux enfants issus d’une première union. L’épouse et la fille enjoignent au fils de rapporter à la succession la valeur du fonds de commerce que le de cujus avait loué à la société de son fils. En effet, il résulte du testament qu’au terme du contrat de location-gérance, résilié dix-sept ans auparavant, le fonds n’avait jamais été restitué.
La cour d’appel saisie fait droit à la demande des héritières et ordonne le rapport de la somme de 75 000 euros au titre du fonds de commerce.

La Haute juridiction valide partiellement cette décision. Elle relève tout d’abord que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a considéré qu’en l’absence de preuve de la restitution du matériel incorporé au fonds appartenant au de cujus, le défendeur devait rapporter la donation indirecte dont il avait bénéficié. La première chambre civile énonce « que l’interposition d’une société ne fait pas obstacle au rapport à la succession d’une donation ».
La solution n’est pas sur ce point inédite (Cass. 1re civ., 4 juill. 2007, n° 05-20.096) et trouve son fondement dans l’article 843 du Code civil qui vise les biens directement ou indirectement reçus.
Sur le second temps de sa motivation, la Cour se montre plus audacieuse et censure l’évaluation faite par les juges du fond du rapport, ces derniers ayant estimé la valeur du fonds loué à la somme de 75 000 euros.
Le fonds est manifestement incorporé à celui de la société. Cette évaluation est vaine car pour mémoire, l’article 860 du Code civil dispose que le rapport est dû de la valeur du bien au jour du partage selon son état au jour de la donation.

Par conséquent, la Cour de cassation juge que dans l’hypothèse où une donation est faite par le de cujus à son héritier par l’interposition d’une société, le rapport est dû « à proportion du capital qu’il détient ». Autrement dit elle estime de manière fictive que la donation est directement consentie à l’héritier qui a, ensuite, apporté le bien à la société. Le rapport est dû à concurrence de la valeur des parts de l’héritier dans la société et correspondant au capital investi à l’issue de la donation.
Ainsi, la Haute juridiction élude la question de l’interposition de la société dans la mesure où elle considère de manière fictive que la donation a été faite directement à l’héritier qui l’a par la suite apporté à la société.

Cette interprétation est critiquable car au regard des faits il ne nous est pas permis d’attester que le de cujus était doté d’une intention libérale au moment de la conclusion du contrat de location-gérance, le codicille relevant seulement l’absence de restitution du matériel depuis 2004. L’intention libérale du de cujus semble être déduite de l’impossibilité matérielle de dissocier le fonds de celui de la société. Car l’on aurait pu faire valoir l’article 853 du Code civil qui dispose que l’héritier n’est pas tenu au rapport des profits tirés de conventions passées avec le de cujus.
Nous n’aborderons pas ici le rappel fiscal des mutations successives, donation puis apport à la société.

L’on aurait pu imaginer d’autres qualifications :
Créance de la succession envers la société. Manifestement la restitution du fonds et notamment de son matériel et marchandises paraissait impossible dans la mesure où les équipements étaient désormais indissociables de ceux de la société. De nombreuses années s’étant écoulées… Cette qualification semble avoir été écartée en raison des contraintes matérielles. Or, pour rappel, l’article 858 du Code civil dispose que le rapport se fait en valeur, sauf disposition contraire.
Recel successoral. Il nous est permis d’imaginer que la société s’étant gardée de restituer le matériel, l’héritier par cet intermédiaire aurait distrait le fonds de la succession. Cette qualification n’a pas non plus retenu l’attention, peut-être car ce dernier était dépourvu d’intention de distraire le fonds dans la mesure où celui-ci se confond depuis de nombreuses années avec celui de sa société et que le de cujus n’a pas demandé sa restitution.

Voyons ce que les différentes qualifications auraient comme conséquences sur la part des héritiers :
Donation indirecte Créance sur la succession Recel successoral
Le rapport du fonds se fait en valeur dans l’actif successoral.
Le bénéficiaire verse une soulte à ses cohéritiers à proportion de leurs droits dans la succession.
La créance de restitution est intégrée à l’actif successoral. Néanmoins, la restitution doit s’opérer en nature.
Les héritiers se partagent les biens à concurrence de leurs droits dans la succession.
Le bien distrait est intégré dans l’actif successoral.
L’héritier receleur est privé de tout droit sur le bien recelé.
 
La solution semble avoir été dictée par des considérations matérielles, cependant peut-on vraiment considérer qu’il y a eu donation indirecte ? De prime abord, le de cujus ne semble pas avoir eu d’intention libérale à l’égard de son fils et de sa société, puisque la convention de location-gérance était réelle et régulièrement exécutée jusqu’en 1991. Comme précédemment indiqué, le codicille fait état d’une restitution qui n’a jamais eu lieu mais qui aurait dû l’être. Imaginons alors qu’il s’infère de la négligence du de cujus à se prévaloir de la restitution du matériel, un intention libérale… Cette interprétation ne justifie cependant pas la méthode d’évaluation du rapport dictée par la Cour, à savoir la proportion des droits de l’héritier dans le capital social.
Source : Actualités du droit