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Anonymat des enquêteurs : les précisions réglementaires

Pénal - Informations professionnelles, Procédure pénale
04/04/2018
Pas moins de sept textes réglementaires viennent préciser les conditions de mise en œuvre des dispositions permettant de ne pas divulguer l’identité des policiers, gendarmes et douaniers et agents des services fiscaux dans les actes de la procédure, lorsque la révélation de son identité est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches.
La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique (art. 3, L. n° 2017-258, 28 févr. 2017, JO 1er mars) a créé l’article 15-4 du Code de procédure pénale, qui permet, sur autorisation, de ne pas identifier par leurs nom et prénom, les policiers, gendarmes, douaniers (C. pr. pén., art. 28-1 et C. douanes, art. 55 bis) et agents des services fiscaux (C. pr. pén., art. 28-2) agissant dans l’exercice de leurs fonctions dans le cadre de procédures énumérés à l’article 15-4. Ceci, lorsque la révélation de l’identité est susceptible, compte tenu des conditions d’exercice de la mission ou de la nature des faits que l’enquêteur est habituellement amené à constater, de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches.
 

I. Numéros d’immatriculation administrative


L’article 15-4 du Code de procédure pénale précise que l’enquêteur est identifié par un numéro d’immatriculation administrative, sa qualité et son service de rattachement. Dans le prolongement du nouvel article R. 2-20 du Code de procédure pénale (créé par art. 1er, D. n° 2018-218, 30 mars 2018, JO 31 mars), deux arrêtés viennent définir ces numéros (Arr. 30 mars 2018, NOR : INTD1733856A, JO 31 mars ; Arr. 30 mars 2018, NOR : CPAD1803719A, JO 31 mars).
 
Emploi concerné Numéro d’immatriculation administrative Source
Police nationale
(hors DGSI)
numéro référentiel des identités et de l’organisation (RIO)
ou
nouveau numéro attribué (C. pr. pén., art. R. 2-20)
Art. 1, al. 1, Arr. 30 mars 2018,
NOR : INTD1733856A, JO 31 mars
DGSI numéro attribué par le chef de service Art. 1, al. 2, Arr. 30 mars 2018,
NOR : INTD1733856A, JO 31 mars
Gendarmerie nationale numéro de matricule opérationnel Art. 2, Arr. 30 mars 2018,
NOR : INTD1733856A, JO 31 mars
Douanes
(C. pr. pén., art. 28-1 ; C. douanes, art. 55 bis)
numéro de commission d’emploi :
"matricule douane" du traitement SIRHIUS ou nouveau numéro attribué (C. pr. pén., art. R. 2-20)
Art. 1 et 2, Arr. 30 mars 2018,
NOR : CPAD1803719A, JO 31 mars
Services fiscaux
(C. pr. pén., art. 28-2)
numéro référentiel des identités et de l’organisation (RIO)
ou
nouveau numéro attribué (C. pr. pén., art. R. 2-20)
Art. 3, Arr. 30 mars 2018,
NOR : CPAD1803719A, JO 31 mars

Le second alinéa de l’article R. 2-20 du Code de procédure pénale instaure la possibilité, pour le responsable hiérarchique compétent (voir infra), de délivrer un nouveau numéro d’immatriculation administrative à l’agent concerné, dans deux cas :
  • en cas de divulgation, le cas échéant aggravée, des nom et prénom du bénéficiaire ou tout élément permettant son identification personnelle ou sa localisation (C. pr. pén., art. 15-4, IV) ;
  • si la levée de l’anonymat par le juge saisi par requête (C. pr. pén., art. 15-4, III) est susceptible de mettre en danger la vie ou l’intégrité physique de l’agent ou celles de ses proches.
 

II. Responsable hiérarchique compétent


Aux termes de l’article 15-4 du Code de procédure pénale, l’autorisation doit être délivrée nominativement par « un responsable hiérarchique d’un niveau suffisant défini par décret ». Tel est précisément l’objet du décret n° 2018-219 du 30 mars 2018, qui détermine les responsables hiérarchiques compétents pour délivrer les autorisations mentionnées à l’article 15-4 (C. pr. pén., art. D. 8-3 à D. 8-6, créés par art. 1er, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars) et celles prises en application de l’article 55 bis du Code des douanes (art. 2, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars).
Le responsable compétent est celui dont relève le service ou l’unité où l’agent est affecté ou mis temporairement à disposition (C. pr. pén., art. D. 8-4 ; art. 2, II et III, D. n° 2018-219, précité).
 
Corps concerné Autorité hiérarchique compétente Source
Police nationale les directeurs des services territoriaux de la police nationale Art. 1er, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars
C. pr. pén., art. D. 8-3, 1° et 3°
les directeurs des établissements publics de la police nationale
les chefs des services ou d’offices centraux relevant de la police nationale
le chef de service du détachement de la police nationale auprès de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières
le chef de l’unité de coordination des enquêtes de l’inspection générale de la police nationale
les directeurs ou sous-directeurs des services actifs de la police nationale
le préfet de police
le directeur général de la sécurité intérieure
le directeur général de la police nationale
les adjoints de ces responsables
Gendarmerie nationale les commandants de groupement Art. 1er, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars
C. pr. pén., art. D. 8-3, 2° et 3°
les commandants de section de recherches
les commandants de section d’appui judiciaire
les commandants de la gendarmerie dans les départements et collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie
les commandants de région
les commandants des gendarmeries spécialisées
le commandant de la gendarmerie prévôtale
le sous-directeur de la police judiciaire de la direction des opérations et de l’emploi de la direction générale de la gendarmerie nationale
les commandants des offices centraux relevant de la direction générale de la gendarmerie nationale
les commandants des organismes directement subordonnés au directeur général de la gendarmerie nationale
le directeur général de la gendarmerie nationale
les adjoints de ces responsables
Douanes
(C. pr. pén., art. 28-1)
magistrat délégué aux missions judiciaires de la douane
ou
les adjoints qu’il délègue à cet effet
Art. 1er, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars
C. pr. pén., art. D. 8-5
Douanes
(C. douanes, art. 55 bis)
Le directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières Art. 2, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars
les directeurs interrégionaux des douanes et droits indirects
les directeurs régionaux des douanes et droits indirects
le directeur général des douanes et droits indirects
les agents ayant au moins le grade d’inspecteur principal des douanes placés directement sous l’autorité de ces responsables hiérarchiques
les chefs de service de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon
les agents ayant au moins le grade de contrôleur principal placés directement sous l’autorité de ces responsables hiérarchiques
Services fiscaux
(C. pr. pén., art. 28-2)
chef du service de police judiciaire institué au sein de la direction centrale de la police judiciaire, spécialisé dans la répression de la délinquance fiscale ou ses adjoints
ou
le directeur central de la police judiciaire ou ses adjoints
Art. 1er, D. n° 2018-219, 30 mars 2018, JO 31 mars
C. pr. pén., art. D. 8-6
 

III. Forme et durée de l’autorisation


Le nouvel article R. 2-18 du Code de procédure pénale (créé par art. 1er, D. n° 2018-218, 30 mars 2018, JO 31 mars) vient préciser que l’autorisation est délivrée par écrit et est valable pendant la durée de l’affectation de l’agent ou de sa mise à disposition temporaire, à moins qu’un changement de fonctions au sein du service ou de l’unité ne vienne modifier les conditions d’exercice de sa mission ou la nature des faits habituellement constatés.

Le nouvel article R. 2-19 du Code de procédure pénale rappelle, à la suite de l’article 15-4 du même code, que l’autorisation ne pourra être accordée, pour les procédures portant sur un délit puni de moins de trois ans d’emprisonnement (C. pr. pén., art. 15-4, I, 2°), en raison de circonstances particulières dans la commission des faits ou de la personnalité des personnes mises en cause, la révélation de l’identité de l’agent est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches, qu’aux agents bénéficiant de l’autorisation délivrée pour l’ensemble d’une procédure dans les conditions prévues au deuxième alinéa du I de l’article 15-4. En cas d’urgence, l’autorisation pourra être délivrée par tout moyen par un responsable ou son représentant dans le cadre de l’astreinte du service, avec confirmation écrite du responsable hiérarchique dès le premier jour ouvrable suivant sa délivrance. Cette autorisation est valable jusqu’à ce qu’une décision judiciaire mettant fin à la procédure soit devenue définitive (C. pr. pén., art. R. 2-19, nouv.) ou, en matière douanière, une transaction (art. 2, 1°, D. n° 2018-218, 30 mars 2018, JO 31 mars).
 

IV. Forme de la demande de levée de l’anonymat


En application du III de l’article 15-4 du Code de procédure pénale, les juridictions d’instruction et de jugement, qui ont avoir accès aux nom et prénom de l’enquêteur identifié par un numéro d’immatriculation administrative dans un acte de procédure, peuvent être saisies par une partie à la procédure, d’une requête écrite et motivée tendant à la communication des nom et prénom de l’enquêteur bénéficiant de l’anonymat.

Le nouvel article R. 2-21 du Code de procédure pénale (créé par art. 1er, D. n° 2018-218, 30 mars 2018, JO 31 mars) prévoit que cette requête doit être adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par remise au greffe contre récépissé. Lorsque la personne est détenue, la requête est déposée conformément aux dispositions du dixième alinéa de l’article 81 du même code, c’est-à-dire par déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire.

Pour permettre la levée de l’anonymat, plusieurs textes aménagent les dispositions relatives aux traitements de données à caractère personnel relatives aux personnels pouvant être concernés par une autorisation d’anonymat. Le ministère de l'intérieur (DGPN et DGGN) est autorisé à mettre en œuvre un traitement de données à caractère personnel dénommé interface de levée de l'anonymat des agents de la police et de la gendarmerie nationales, ainsi que des agents des douanes dans les actes de procédure (IDPV). L’arrêté du 30 mars 2018 portant création de l’IDPV (Arr. 30 mars 2018, NOR : INTD1807181A, JO 31 mars) précise les données personnelles accessibles (art. 3), fixe les personnes pouvant y avoir accès (art. 4), l’enregistrement des consultations (art. 5), les modalités du droit d’information, d’opposition et d’accès de la personne concernée (art. 6), ainsi que la connexion de l’IDPV à d’autres traitements automatisés de données (art. 1er ; RIO, Agorha et IDdouane).
Sont corrélativement prévues :
  • la mise en relation du traitement automatisé pour la gestion des militaires de la gendarmerie nationale dénommé Agorha (D. n° 2012-895, 19 juill. 2012, JO 21 juill.), avec l’IDPV (D. n° 2018-220, 30 mars 2018, JO 31 mars) ;
  • la création d’un traitement permettant l’identification des agents des douanes dans les actes de procédure, dénommé « IDdouane » (Arr. 30 mars 2018, NOR : CPAD1808348A, JO 31 mars).

 

V. Exercice de l’action civile par l’enquêteur bénéficiant de l’anonymat


En application de l’alinéa 4 de l’article 15-4 du Code de procédure pénale, le bénéficiaire de l’autorisation a la possibilité de déposer ou de comparaître comme témoin au cours de l’enquête ou devant les juridictions d’instruction ou de jugement et de se constituer partie civile en utilisant les mêmes éléments d’identification. Seuls ceux-ci sont mentionnés dans les procès-verbaux, citations, convocations, ordonnances, jugements ou arrêts et il ne peut être fait état des nom et prénom de l’agent au cours des audiences publiques. Les nouveaux articles R. 2-22 à R. 2-24 du Code de procédure pénale (créés par art. 1er, D. n° 2018-218, 30 mars 2018, JO 31 mars) complète ces dispositions.

En cas d’exercice de l’action en réparation devant une juridiction civile ou de saisine de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) d’une demande d’indemnité, l’enquêteur peut s’identifier par son numéro d’immatriculation administrative. La juridiction ou la CIVI peut avoir accès aux nom et prénom de l’enquêteur par l’intermédiaire du procureur de la République compétent, mais dans les décisions judiciaires et tous les actes de la procédure, y compris en cas d’appel ou de pourvoi en cassation, il ne peut être fait état des nom et prénom du bénéficiaire de l’autorisation : seuls ses numéro d’immatriculation administrative, qualité et service ou unité d’affectation sont mentionnés (C. pr. pén., art. R. 2-22, nouv.).

En matière de recouvrement de dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice subi à l’enquêteur en sa qualité de partie civile, il ne pourra pas non plus être fait état de ses nom et prénom, et seuls ses numéro d’immatriculation administrative, qualité et service ou unité d’affectation seront mentionnés. Le recouvrement doit s’effectuer par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un huissier de justice mandaté à cette fin ou du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Il appartient à l’enquêteur de leur transmettre une copie de l’autorisation d’anonymat qui lui a été délivrée (C. pr. pén., art. R. 2-23, nouv.).

En cas de répétition de l’indu, la restitution des dommages et intérêts est faite par l’intermédiaire de l’Agent judiciaire de l’État. C’est ce dernier qui récupère les sommes indûment versées auprès du bénéficiaire de l’autorisation (C. pr. pén., art. R. 2-24, nouv.).
 
Source : Actualités du droit