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Le principe de continuation de l’instruction est conforme à la Constitution

Pénal - Procédure pénale
28/05/2018
Le fait que la personne mise en cause puisse, conformément à l’article 187 du Code de procédure pénale, être renvoyée devant la juridiction de jugement en dépit de l’existence d’un recours pendant devant la chambre de l’instruction ne méconnaît pas, notamment, le droit à un recours juridictionnel effectif.

1. Faits et procédure

Dans le cadre d’une instruction préparatoire portant sur des faits de fraude fiscale, de blanchiment de fraude fiscale et d’organisation frauduleuse de l’insolvabilité, l’avocat de l’une des personnes mises en examen forme une demande d’acte, rejetée par le juge d’instruction saisi. Un appel est interjeté à l’encontre de cette décision, qui sera infirmée par la chambre de l’instruction le 8 septembre 2014. Dans l’intervalle, par ordonnance du 2 septembre 2014, les personnes mises en examen ont été renvoyée devant le tribunal correctionnel.

Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est alors soulevée relativement à la conformité des dispositions de l’article 187 du Code de procédure pénale, qui permettent au juge d’instruction de poursuivre l’instruction et, le cas échéant, clôturer l’instruction, alors même que la chambre de l’instruction, saisie antérieurement à la décision du magistrat instructeur, n’aurait pas encore statué sur l’appel d’une ordonnance autre que celle d’une ordonnance de règlement.

Par un premier jugement du 13 avril 2015, le tribunal correctionnel de Paris rejette les exceptions de nullité soulevées et déclare la culpabilité des prévenus ; par jugement séparé, les juges parisiens estiment n’y avoir lieu à transmettre la QPC. Le 19 mai 2017, la cour d’appel de Paris confirme partiellement le jugement attaqué (en ce qui concerne la culpabilité, mais non les peines prononcées) ; elle refuse à son tour et par arrêt distinct, de transmettre la QPC à nouveau soulevée devant elle. Les personnes mises en cause forment un pourvoi en cassation.

La QPC était ainsi rédigée : « Les dispositions de l'article 187 du Code de procédure pénale et leur interprétation en ce qu'elles autorisent le magistrat instructeur à clore son instruction et à renvoyer devant une juridiction de jugement, alors même que par application du droit reconnu par l'article 186-1 du même code, un appel contre l'une de ses ordonnances est pendant devant la chambre de l'instruction, ce qui est de nature à priver de toute efficacité la décision de la chambre de l'instruction y faisant droit, contreviennent-elles aux principes constitutionnels d'égalité des citoyens devant la loi, d'effectivité des voies de recours, ainsi qu'au plein exercice des droits de la défense garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».

 

2. Position de la Cour de cassation

Il convient de rappeler qu’il est admis depuis longtemps en jurisprudence que lorsqu’il est interjeté appel d'une ordonnance autre qu'une ordonnance de règlement, le juge d'instruction poursuit son information sauf décision contraire de la chambre de l’instruction (Cass. crim., 3 févr. 1967, n° 66-92.273, Bull. crim., n° 51).

Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation considérait jusqu’ici que le renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel n'avait pas pour effet de priver le demandeur à la nullité du droit de faire examiner son recours par la chambre de l'instruction, puisque le renvoi d'une personne mise en examen devant le tribunal correctionnel, régulièrement ordonné par le juge d'instruction, dont l'information n'a pas été suspendue, était sans incidence sur l'obligation faite à la juridiction d'instruction du second degré de statuer sur une requête en annulation d'actes de la procédure dont elle a été saisie par une partie (Cass. crim., 5 sept. 2012, n° 12-83.509, Bull. crim., n° 181. Comp. Cass. crim., 7 juin 2006, n° 05-86.427, Bull. crim., n° 160).
Ainsi, lorsque tribunal correctionnel a été saisi par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, aucun conflit positif de juridiction ne résulte de ce que, postérieurement à cette ordonnance, un arrêt de la chambre de l'instruction a prescrit à ce magistrat la réalisation d'actes supplémentaires, l'information s'étant poursuivie jusqu'à son règlement, conformément à l’article 187 du Code de procédure pénale, de sorte que l'arrêt de la chambre d'instruction est inopérant (Cass. crim., 15 mai 2012, n° 12-83.268, Bull. crim., n° 122).

Mais par un arrêt du 28 février 2018, rendu dans la présente affaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que la QPC posée présente un caractère sérieux en raison du risque d'atteinte au droit à un recours effectif et décide donc de la renvoyer devant le Conseil constitutionnel. En effet, « dès lors que les dispositions critiquées permettent au juge d'instruction, si le président de la chambre de l'instruction n'en ordonne pas la suspension, de poursuivre l'information dont il a la charge, de procéder à tous actes utiles jusqu'à ce qu'il estime celle-ci terminée et de rendre l'ordonnance de règlement, nonobstant l'appel en cours ; que, dans ce cas, l'éventuelle infirmation de l'ordonnance à l'origine de la saisine de la chambre de l'instruction peut apparaître comme privée de toute portée effective » (Cass. crim., 28 févr. 2018, n° 17-83.577).
 

3. Décision du Conseil constitutionnel

Ainsi saisi, le Conseil constitutionnel déclare la constitutionnalité des dispositions invoquées, au terme d’un double constat. Un premier aspect du raisonnement est d’ordre technique et repose sur un état des lieux des autres voies de droit existantes et destinées à garantir le droit d’accès au juge. Ainsi, en ce qui concerne les mécanismes permettant d’assurer la garantie des droits des parties concernées en cas de continuation de l’instruction, le Conseil constitutionnel relève :
  • le pouvoir du président de la chambre de l’instruction d’en ordonner, par une décision insusceptible de recours, la suspension le temps qu’il soit statué sur l’appel (C. pr. pén., art. 187, al 1, in fine) ;
 
  • la faculté dont disposent les parties, notamment dans la perspective de l’hypothèse précitée, d’informer le président de la chambre de l’instruction de la clôture imminente de l’information, qui intervient nécessairement dans les délais fixés à l’article 175 du Code de procédure pénale ;
 
  • la possibilité d’interjeter appel d’une ordonnance de mise en accusation (C. pr. pén., art. 186, al. 1), ce donne l’occasion à la personne mise en examen de contester les ordonnances du juge d’instruction au moment de la clôture ;
 
  • la possibilité dérogatoire d’interjeter appel d’une ordonnance de renvoi en correctionnelle de l’alinéa 3 de l’article 186-3 du Code de procédure pénale, tel qu’interprété par la jurisprudence qui admet la recevabilité de l’appel contre l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, lorsqu’un précédent appel du mis en examen contre une ordonnance du juge d'instruction ayant rejeté une demande d'acte est pendant devant la chambre de l'instruction (Cass. crim., 7 févr. 2017, n° 16-86.835, Bull. crim., n° 35) ;
 
  • la possibilité, pour la partie civile, d’interjeter appel d’une ordonnance de non-lieu (C. pr. pén., art. 186, al. 2), ce qui lui permet de contester les ordonnances du juge d’instruction au moment de la clôture ;
 
  • la possibilité, pour les parties, de demander un supplément d’information à la juridiction de jugement saisie sur renvoi de la juridiction d’instruction, qu’il s’agisse de la cour d’assises, du tribunal correctionnel, du tribunal de police ou de la chambre des appels correctionnels.


Selon le Conseil constitutionnel, il ressort de ces dispositions que « les parties peuvent contester utilement, dans des délais appropriés, les décisions du juge d'instruction sur lesquelles la chambre de l'instruction n'a pas statué avant l'ordonnance de règlement ».

Outre cet aspect technique de l’analyse, le Conseil constitutionnel évoque un second levier d’analyse, d’ordre politique et qui prend appui sur l’objectif de bonne administration de la justice : les dispositions contestées « ont pour objet d’éviter les recours dilatoires provoquant l’encombrement des juridictions et l’allongement des délais de jugement des auteurs d’infraction ».

Il résulte de toute ce qui précède que le principe de continuation de l’instruction (et l’ineffectivité éventuelle de la décision ultérieure de la chambre de l’instruction) ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif, pas plus que le principe d’égalité devant la loi, les droits de la défense ou tout autre droit ou liberté constitutionnellement garanti. Les mots « il est interjeté appel d’une ordonnance autre qu’une ordonnance de règlement ou que » contenus à l’article 187 du Code de procédure pénale sont donc conformes à la Constitution.
Source : Actualités du droit