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Infraction continue : le caractère indéterminable du point de départ de la prescription doit lui être certain !

Pénal - Procédure pénale
29/05/2018
Doit être rejetée l’exception de prescription de l’action publique, dès lors que la prescription des infractions continues ne court qu’à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets, et que ce point de départ ne peut être déterminé. Telle est l'une des solutions rendues par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 2018.
Dans cette affaire, le gouvernement argentin avait demandé l’extradition de M. X dans le cadre de poursuites exercées à son encontre pour tortures, tortures suivies de mort, privation illégale de liberté aggravée et crimes contre l’humanité. Ces poursuites visaient des agissements imputés à l’intéressé au sein des forces de police lors de la dictature militaire ayant occupé le pouvoir en Argentine entre 1976 et 1983.
M. X, appréhendé le 13 juin 2013, avait été présenté le lendemain aux autorités judiciaires et avait déclaré ne pas consentir à son extradition. Il avait été placé sous contrôle judiciaire. Par arrêt du 28 mai 2014, la chambre de l’instruction avait émis un avis partiellement favorable à la demande d’extradition. M. X avait formé un premier pourvoi en cassation.
Par arrêt du 18 février 2015 (Cass. crim., 18 févr. 2015, n° 14-84.193, F-D), la chambre criminelle avait cassé en toutes ses dispositions ledit arrêt et renvoyé l’affaire devant la chambre de l’instruction. Cette dernière avait émis un avis partiellement favorable à la demande d’extradition pour les seuls faits qualifiés, en droit français, de détention ou séquestration d’une personne, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, précédée ou accompagnée de tortures, et, en droit argentin, de privation illégale de liberté aggravée, de tortures, ainsi que de crimes contre l’humanité, dont il aurait été l’auteur sur la personne de M. Y. M. X avait, alors, formé un pourvoi en cassation.

Sur l’extradition

La chambre criminelle rappelle, d’abord, que, s’il appartient aux juridictions françaises, lorsqu’elles se prononcent sur une demande d’extradition, de vérifier si les faits pour lesquels l’extradition est demandée étaient incriminés par l’État requérant au moment de leur commission, il ne leur appartient pas de vérifier si ces faits ont reçu, de la part des autorités de cet État, une exacte qualification juridique au regard de la loi pénale de ce dernier. Aussi, elle conclut qu'en émettant un avis partiellement favorable à l’extradition de M. X, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.

La chambre criminelle estime, ensuite, que la chambre de l’instruction, en ayant répondu aux articulations essentielles du mémoire relatives à l’absence alléguée de garanties d’un procès équitable dans son avis, a satisfait aux conditions essentielles de son existence légale. Elle note, en effet, que celle-ci avait relevé :
– que la République argentine était partie à de nombreux instruments internationaux, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention américaine des droits de l’Homme, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ; 
– qu’elle avait, en outre, signé un traité d’extradition avec la République française, récemment ratifié par les deux États ;
– et que ces éléments ne permettaient pas de douter de l’indépendance et de l’impartialité de la justice argentine. 

De surcroît, la cour notait que les autorités requérantes exposaient dans leur demande que M. X aurait la possibilité de contester les preuves réunies à son encontre et que cette phase d’instruction pourra être suivie d’une phase de jugement au cours de laquelle une formation collégiale décidera sur sa culpabilité. Elle avait donc déduit que la crainte exprimée par la personne réclamée de ne pas bénéficier, de la part de la justice argentine, de la présomption d’innocence et d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme était dénuée de fondement.

Sur la prescription

La chambre criminelle relève, enfin, que pour rejeter l’exception de prescription de l’action publique invoquée par l’avocat de M. X, qui soutenait que le délai de dix ans prévu par l’article 7 du Code de procédure pénale était expiré à la date de la demande d’extradition, le 2 août 2012, l’arrêt énonçait  :
– que M. Y n’était pas réapparu depuis la fin de l’année 1976 ;
– que son corps n’avait pas non plus été retrouvé ; 
– que le sort qui lui a été réservé demeurait encore inconnu à ce jour ;
– qu’il ne pouvait être affirmé que sa détention ou séquestration arbitraire avait cessé, et ce, quand bien même la dictature militaire avait pris fin en Argentine en 1983 ;
– et, de même, qu'il importait peu que M. X ait quitté l’Argentine pour la France en 1985, il suffisait d’estimer plausible son implication dans la séquestration de M. Y qui avait commencé immédiatement après son enlèvement à son domicile le 30 octobre 1976 ;
– et que la fin de la séquestration de M. Y ne pouvait être fixée de manière arbitraire et théorique en 1983, époque à laquelle la dictature militaire avait cessé en Argentine.

Dans cette situation, la chambre de l'instruction avait conclu que la prescription de la séquestration dont il avait été victime n’avait pas commencé à courir, l’infraction n’ayant pas pris fin.
La chambre criminelle, en l’état de ces motifs et eu égard à la solution précitée, conclut que la chambre de l’instruction, a, dans son avis, satisfait aux conditions essentielles de son existence légale. Le pourvoi de M. X est, par conséquent, rejeté.

Par Marie Le Guerroué
Source : Actualités du droit