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Royauté, chantage, extorsion et... loyauté de la preuve

Pénal - Procédure pénale, Vie judiciaire
20/09/2016
Au nom des principes du procès équitable et de la loyauté des preuves, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure explicitement l'instrumentalisation, par l'autorité publique, de l'inopposabilité du principe de loyauté de la preuve aux parties privées.
À la suite de la publication d'un premier livre intitulé "Le Roi prédateur", relatif à certains fonctionnements au sein de la monarchie marocaine, les auteurs se consacraient à la rédaction d'un nouvel "essai critique" sur la famille royale chérifienne et de son entourage. Ils auraient, à cette occasion, obtenu la remise de sommes d'argent en échange de la promesse de ne pas publier ce nouvel ouvrage.

Au soutien de sa plainte, l'État marocain produit l’enregistrement d’une conversation du 11 août 2015, au cours de laquelle l'un des journalistes aurait sollicité ce paiement.
Une  enquête préliminaire est ouverte et l'avocat représentant de l'État marocain produit l’enregistrement d’une nouvelle conversation qu'il a eue le 21 août 2015 avec l'un des auteurs, en un lieu placé sous la surveillance des enquêteurs, qui en ont retranscrit la teneur par procès-verbal.
Une information judiciaire est ouverte le 26 août 2015. L'avocat représentant le Maroc informe les enquêteurs de la tenue, le lendemain, d'un nouveau rendez-vous avec les journalistes, entrevue qui s’est déroulée en un lieu également placé sous surveillance policière. À l’issue de la conversation entre les trois protagonistes, enregistrée par l'avocat, des sommes d’argent ont été remises par ce dernier aux deux journalistes, qui ont alors été interpellés, les enquêteurs retranscrivant l’enregistrement sur procès-verbal.
Les 28 et 29 août 2015, les journalistes sont mis en examen des chefs de chantage et d'extorsion de fonds. Le 7 septembre suivant, ils saisissent la chambre de l’instruction de deux requêtes en nullité des enregistrements des 21 et 27 août 2015, des procès-verbaux de retranscription et des actes subséquents.

Le 26 janvier 2016, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris rejette les requêtes. Après avoir repris, en substance, les principes dégagés par la jurisprudence en ce qui concerne le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, elle estime qu'il n'y avait, en l'espèce, aucune incitation des autorités publiques en faveur de la réalisation des enregistrements clandestins par l'avocat. Si les services de police ont régulièrement été informés et ont laissé faire, en connaissance de cause, l'avocat, ce dernier ne devait pas, pour autant, être assimilé à un agent de l'autorité publique. En se fondant sur la légalité du dispositif de surveillance mis en place et sur l'attitude "en retrait" des services de police, la chambre de l'instruction concluait à la recevabilité des enregistrements.

La Chambre criminelle invalide ce raisonnement, en rappelant que "porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves la participation de l’autorité publique à l’administration d’une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée".
En l'espèce, elle considère "qu'en se déterminant ainsi, alors qu’elle avait relevé la présence constante des enquêteurs sur les lieux des rencontres des 21 et 27 août 2015, la remise aux policiers par le représentant du plaignant des enregistrements litigieux dès la fin de ces rencontres, suivie, le lendemain ou le surlendemain, de leur retranscription par les enquêteurs et les contacts réguliers entre ces derniers et le représentant du plaignant, d’une part, et l’autorité judiciaire, d’autre part, pendant ces rencontres ayant conduit à l’interpellation des mis en cause à l’issue de la seconde d’entre elles, ce dont il se déduisait que l’autorité publique avait participé indirectement à l’obtention des enregistrements, par un particulier, sans le consentement des intéressés, de propos tenus par eux à titre privé, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé".
Source : Actualités du droit