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Vols de champagne : « il n’y a pas assez de prévention dans le fret »

Transport - Route
08/12/2023
Pour la délinquance itinérante, les fêtes de fin d’année sont l’occasion de multiplier les vols de fret, et notamment de champagne. Le chiffre noir des préjudices économiques est colossal. Jean-Marie Hommet, secrétaire de la CFDT Transports de Reims, détaille le modus operandi des réseaux criminels organisés et déplore le manque criant de parkings sécurisés.
Bulletin des transports : Le dernier vol de champagne recensé concerne deux cargaisons Moët et Chandon, dérobées à Reims chez un transporteur. Que s’est-il passé ?
Jean-Marie Hommet : D’après les informations remontées par quelques conducteurs routiers, il s’agit de deux 38 t de champagne qui stationnaient chez un transporteur de Reims, dans l’attente de leur livraison. Les deux remorques étaient équipées d’une balise en raison de la valeur de la marchandise, 600 000 € au total. Alertée du vol commis le 11 novembre, la police judiciaire de Reims a aussitôt donné l’alerte, ce qui a permis de localiser le convoi sur la RN4, en Seine-et-Marne. Les policiers locaux (N.D.L.R. : trois patrouilles du commissariat de Torcy) ont pris en chasse le chauffeur de l’un des poids lourds. Pendant la course poursuite, le chauffeur a sauté du camion en marche, pour être récupéré par des complices à bord d’un véhicule qui a disparu dans la nature. Le conducteur du second poids lourd a réussi lui aussi à s’échapper. Le poids lourd et sa cargaison ont été retrouvés peu après sur un parking.

BTL : Où en est l’enquête ? S'agit-il d'un réseau organisé ?  
J.-M. H. : Il semble que nous ayons affaire à un réseau criminel très organisé qui rappelle un vol de champagne commis il y a un an chez le même transporteur (N.D.L.R. : préjudice de 200 000 €). L’enquête confiée à la police judiciaire ne fait que commencer. En plus d’avoir accès à un réseau de receleurs et de revendeurs, la bande organisée a été informée que les deux cargaisons de champagne se trouvaient chez ce transporteur à cet endroit précis et ce jour-là.

BTL : Est-ce à dire que les moyens de prévention mis en œuvre par les transporteurs et les logisticiens sont insuffisants ?
J.-M. H. : Le seul outil concret, c’est la pose de balises sur les palettes de champagne. En réalité, la meilleure prévention consiste à ne pas dévoiler le contenu de la cargaison. Moins le conducteur parle de son chargement, mieux c’est. À l’échelon de la CFDT Transports de Reims (1), nous constatons une insuffisante prévention en matière de vols. De surcroît, la France ne dispose pas d’un parc suffisant de parkings sécurisés. Ceux qui existent sont par définition payants et assez rapidement saturés (2). Aujourd’hui, certains conducteurs routiers ont la peur au ventre ; lorsqu’ils doivent garer leur véhicule le soir, ils ne savent pas ce qui peut se passer s’ils transportent du fret à haute valeur ajoutée. Je redoute le jour où un drame humain sera commis. Le message que nous véhiculons consiste à dire aux conducteurs qu’ils ne doivent pas risquer leur vie pour acheminer des marchandises d’un point A à un point B.

BTL : Au cours des dernières années, avez-vous vu émerger une culture des bonnes pratiques ?
J.-M. H. : Il n’y a pas de règles, cela dépend des entreprises. Certaines privilégient les balises ou traceurs GPS sur les remorques, d’autres n’ont pas cette culture. Dans les entreprises où la CFDT est implantée, les délégués syndicaux ont le pouvoir de demander au dirigeant de généraliser la pose de balises. Seul bémol, il appartient au directeur de l’entrepôt ou au transporteur de prendre ses responsabilités. En parallèle, du côté des fédérations professionnelles (FNTR, Union TLF, OTRE), je n’ai pas l’impression que des mesures concrètes soient entreprises pour faire pression sur le gouvernement en matière de parkings sécurisés. La Marne est positionnée sur un axe de transit entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. La France est sous-dotée en parkings sécurisés mais compte tenu du contexte économique actuel, certains transporteurs préfèrent les éviter pour ne pas payer le stationnement.  Certains itinéraires routiers dans le département de la Marne sont à proscrire, en particulier la RN4 entre Vitry-le-François et Saint-Dizier. Nous déconseillons aux conducteurs de stationner la nuit sur cette route. En même temps, on ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque véhicule. Le conducteur routier est bien obligé de s’arrêter à un moment donné pour respecter son temps de conduite et de repos. Une solution simple serait d’avoir des parkings non fermés avec des caméras de vidéosurveillance. Le gouvernement a-t-il la volonté d’investir dans les parkings sécurisés à l’échelon national ?  

BTL : Au fond, le risque zéro n’existe pas pour une grande marque ?
J.-M. H. : C’est toujours compliqué lorsqu’une marque de champagne ou un transporteur est victime d’un vol car le risque réputationnel entre en jeu. La responsabilité d’un vol incombe au conducteur dès lors qu’il a accroché sa remorque et qu’il a quitté l’entrepôt d’autant qu’il est responsable de son chargement. Lorsque le vol intervient dans l’entrepôt, c’est plus complexe parce que la relation entre le transporteur et son client est altérée.

(1) Le périmètre géographique de la CFDT Transports de Reims intègre l’agglomération de Reims jusqu’au département des Ardennes et la zone Epernay-Sézanne. Cela représente 80 entreprises de transport soit 550 salariés adhérents.
(2) Il existe seulement douze parkings sécurisés sur le territoire français. La Commission européenne va toutefois consacrer un fonds de 250 M€ au développement de parkings sécurisés pour poids lourds. Ce fonds doit contribuer à améliorer les aires existantes et à améliorer la diffusion d’informations sur la disponibilité, la localisation et le prix des parkings.

Propos recueillis par Louis Guarino
Paru au Bulletin des Transports et de la Logistique, n° 3952, 11 décembre 2023

 
Source : Actualités du droit