<< Retour aux articles
Image

Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
08/07/2020
Par un arrêt du 8 juillet 2020 qui fera date, la Cour de cassation tire les conséquences de la condamnation de la CEDH du 30 janvier 2020 pour traitements inhumains et dégradants en détention. Tout en renvoyant une QPC sur le sujet, elle juge que des conditions indignes de détention peuvent constituer un obstacle à sa poursuite. Précision d'importance : les allégations doivent porter sur la situation personnelle du détenu et non sur l'état général de l'établissement.

Un homme est placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Ploemeur. Il présente une demande de mise en liberté, rejetée par le JLD. Il décide alors d’interjeter appel de cette décision. En vain. La cour d’appel confirme l’ordonnance rejetant la demande.

 
Les juges du second degré précisent :
  • que les allégations des conditions indignes de l’intéressé relevant de l’article 3 de la CEDH constituent une « affirmation péremptoire reposant sur un article de presse et un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2018 qui ne renseignent en rien, in concreto, sur la situation de l’intéressé, incarcéré depuis le 29 novembre 2019 » ;
  • qu’elle ne peut apprécier si le demandeur « est dans une cellule double, triple, s’il est privé de lumière naturelle, de ventilation », ceci n’étant pas démontré de manière effective.
 
Ainsi, pour la cour d’appel, « la sanction d’un tel traitement ne peut être la remise en liberté de l’intéressé au regard des droits constitutionnels imprescriptibles que garantit la détention provisoire par l’objectif de recherche d’auteurs d’infraction qu’elle poursuit en écartant la personne incarcérée de tout risque d’immixtion dans l’information judiciaire ». Enfin, la personne dispose d’un recours compensatoire et d’un recours préventif devant la juridiction administrative par l’exercice d’un référé-liberté.
 
L’intéressé forme un pourvoi en cassation dénonçant des conditions de détention comme « constitutives de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention » : surpopulation carcérale, manque d’intimité, insécurité etc. Et pose une question prioritaire de constitutionnalité.
 
 
Une QPC renvoyée
La Cour de cassation, dans cet arrêt du 8 juillet 2020 décide de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel : « Les dispositions des articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale, en ce qu’elles ne prévoient pas, contrairement à la recommandation faite par la Cour européenne des droits de l’homme à la France dans son arrêt du 30 janvier 2020, que le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention puisse, de manière effective, redresser la situation dont sont victimes les détenus dont les conditions d’incarcération constituent un traitement inhumain et dégradant afin d’empêcher la continuation de la violation alléguée devant lui, portent-elles atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au principe constitutionnel nouveau qui en découle d’interdiction des traitements inhumains et dégradants ainsi qu’à la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée, le droit au recours effectif » ?
 
Elle juge sérieuse l’éventuelle inconstitutionnalité des articles du Code de procédure pénale qui ne prévoient pas la possibilité, pour le juge judiciaire, de mettre fin à une atteinte à la dignité de la personne incarcérée résultant de ses conditions de détention.
 
En statuant ainsi, elle suit la position de l’avocat général qui considérait opportune la saisine du Conseil constitutionnel, car :
  • un recours à la loi présente plus de sécurité juridique qu’une évolution jurisprudentielle ;
  • le législateur peut élargir l’objet du recours judiciaire ;
  • l’intervention du législateur « telle qu’elle pourrait intervenir à la suite de la saisine du Conseil constitutionnel, paraît davantage conforme à “l’approche globale intégrée” imposée par la jurisprudence européenne ».
 
Un contrôle de conventionnalité possible ?
Par principe, l’article 23-5, alinéa 4, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, prévoit que le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit sursoir à statuer tant que le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé. Avec une exception, si l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance.
 
Compte tenu de l’urgence, la Haute juridiction n’a donc pas sursis à statuer et a examiné immédiatement le recours pris d’une violation de la CEDH.
 
La Cour de cassation devait donc trancher la problématique suivante : quelles sont les conséquences de conditions de détention indignes sur la situation des personnes incarcérées ?
 
La situation antérieure à la condamnation de la France par la CEDH
La Haute juridiction relève qu’il découle des articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale « que le juge, pour apprécier la nécessité de placer ou maintenir une personne en détention provisoire, se détermine en tenant compte des impératifs de la procédure judiciaire, des exigences de préservation de l’ordre public et du caractère raisonnable de la durée de cette détention ».
 
Et rappelle que l’éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne peut constituer un obstacle légal au placement et au maintien en détention provisoire (Cass. crim., 18 sept. 2019, n° 19-83.950, v. Détention provisoire et risque d’atteinte à la dignité en raison des conditions de détention, Actualités du droit, 25 sept. 2019).
 
Avec une exception prévue par l’article 147-1 du Code de procédure pénale, issu de la loi du 15 août 2014 : la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d’office ou à la demande de l’intéressé, lorsqu’une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction.
 
Rappelons que le 30 janvier 2020, la CEDH a condamné la France pour des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention dans plusieurs prisons et une violation de l’article 13 (v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020).
 
Dans cette décision :
  • elle constatait qu’il n’existait aucun recours préventif en matière judiciaire et que le pouvoir d’injonction conféré au juge administratif ne permet pas de mettre réellement fin à des conditions de détention contraires à la Convention ;
  • elle recommandait à l’État d’adopter des mesures générales pour garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l’article 3, d’établir un « recours préventif et effectif combiné avec le recours indemnitaire, permettant de redresser la situation dont les détenus sont victimes et d’empêcher la continuation d’une violation alléguée ».
 
 
Portée de la condamnation de la CEDH : le juge tenu d’examiner les conditions de détention
La Cour de cassation précise alors que le juge national peut tenir compte de cette décision et ce, sans forcément attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires. Un juge judiciaire qui a donc « l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif ». Il doit en effet veiller, en tant que gardien de la liberté individuelle, « à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant ».
 
Ainsi, si un détenu donne une description de ses conditions personnelles de détention suffisamment « crédible, précise et actuelle », pour qu’elle constitue un « commencement de preuve de leur caractère indigne », la chambre de l’instruction doit alors faire procéder à des vérifications complémentaires pour s’assurer des allégations, dans le cas où le ministère public ne les aurait pas préalablement fait vérifier, et en dehors du pouvoir qu’elle détient d’ordonner la mise en liberté de l’intéressé. En cas d’atteinte au principe de dignité, à laquelle il n’a pas été remédié, « elle doit ordonner la mise en liberté de la personne » en l’astreignant à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou un contrôle judiciaire.
 
En l’espèce et au regard de la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation estime que la chambre de l’instruction a jugé à tort « qu’une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention ne saurait constituer un obstacle légal au placement ou au maintien en détention provisoire ».
 
Néanmoins, les allégations du demandeur ne sont pas suffisantes pour constituer un commencement de preuve, dès lors qu’il ne fait état que « des conditions générales de détention au sein de la maison d’arrêt dans laquelle il est détenu, sans précisions sur sa situation personnelle, et notamment sur la superficie et le nombre des occupants de la cellule, son agencement intérieur et le nombre d’heures journalières d’occupation ». Ce qui conduit la Cour de cassation à rejeter le pourvoi.
 
Au Conseil constitutionnel, désormais, de se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions législatives en cause. 
 
 
Source : Actualités du droit